Quand on parle de harcèlement, il y a une question qui revient souvent : « on me harcèle, que faire ? » J’ai déjà parlé ici de certaines choses indispensables à faire (dénoncer, garder une trace écrite, garder espoir) mais une question divise : lors d’une agression, faut-il attendre que cela passe ou rendre les coups ?
Mes réponses sont tirées de mon expérience personnelle, de mes lectures et de l’avis de personnes concernées. Je ne prétends pas détenir la vérité absolue et je ne prétends pas que les pistes que je vais proposer vont forcément marcher à tous les coups. Prenez simplement cela comme des conseils personnels.
Rendre l’agression ou ne rien faire ?
Dès l’enfance, on nous répète que la violence c’est pas bien, qu’il ne faut pas frapper, cogner, griffer, que les pacifistes ont toujours raison, que les vraies filles sont gentilles et douces comme Blanche-Neige et qu’on peut régler les conflits uniquement en parlant.
Personnellement, je pense que c’est formidable d’être pacifiste. J’ai une très grande admiration pour les apôtres de la non-violence comme Gandhi ou Martin Luther King. Je suis certaine que la violence gratuite n’avance jamais à rien, sinon à faire vendre les places des blockbusters. Seulement, il y a des circonstances dans lesquelles on n’arrive à rien en se contentant de sourire et d’attendre. Le harcèlement a justement pour but de faire réagir et quand un gosse à problème agresse et ne constate aucune réaction, il peut très bien agresser davantage pour provoquer les réactions. Ne pas réagir, c’est une mauvaise idée.
On peut aussi être tenté d’avoir des coups de colère et d’aller rendre l’agression au centuple. C’est parfaitement humain et on a tous déjà eu envie de faire ça, moi la première. Le problème, c’est que c’est une stratégie risquée parce qu’à ce moment-là, on passe pour la grosse brute/hystérique/personne à problèmes.
Alors que faire ?
D’après moi, le mieux, c’est encore de se défendre de façon proportionnée, de montrer qu’on est un être humain et qu’on a le droit d’exister autant que n’importe qui. D’une certaine façon, vous rendrez service à vos bullies : ils se rendront peut-être plus facilement compte qu’ils n’ont pas le droit de frapper le premier venu.
L’auto-défense verbale
Voici quelques pistes pour vous défendre quand quelqu’un vous insulte ou vous dénigre. Evidemment, mieux vaut les adapter à la situation :
L’acquiescement
Cette méthode consiste à faire semblant d’être d’accord avec la remarque de votre agresseur, en retournant ses propos à votre avantage, afin qu’il/elle se lasse. Voici quelques exemples :
- T’es qu’une petite gamine !
- C’est vrai, j’ai une âme d’enfant, joyeuse et innocente.
- Tu t’habilles comme un taré !
- C’est vrai que j’ai un look unique et créatif.
Le questionnement
Cette autre méthode consiste à demander calmement à l’agresseur pourquoi il/elle a dit telle ou telle chose. Elle a pour but de montrer au bully que ses attaques n’ont pas d’effet sur vous et donc de le déboussoler. Voici un exemple :
- On sait que t’as couché avec trois mecs, grosse p… !
- Pourquoi penses-tu que j’ai couché avec trois mecs ?
- C’est S… , à la soirée de N… Elle l’a vu !
- Elle l’a vu ? Pour ça, il aurait fallu qu’elle soit dans la pièce. Elle n’a rien fait ?
- Oh, je sais pas… Mais tout le monde le dit !
- Tout le monde le dit ? C’est qui, tout le monde ?
- Tout le monde au lycée !
- Tu as parlé avec tout le monde au lycée ?
Etc…
La contestation
Quand on conteste, on dit simplement et calmement qu’on n’est pas d’accord. Voici des exemples :
- T’as des grosses fesses, c’est moche !
- Tu trouves ? Moi, je les trouve très bien, mes fesses.
- Ton tee-shirt est moche, mais moche !
- C’est ce que tu penses. Moi, j’adore ce tee-shirt !
L’humour
Cette méthode est difficile à mettre en place car elle demande un bon sens de la répartie, ce qui ne s’acquiert pas facilement. Cependant, justement dosée, elle peut parfois aider en mettant les spectateurs de votre côté. A utiliser plus particulièrement quand d’autres personnes regardent. Voici des exemples :
- Hé, t’es vierge ?
- Non, je suis balance.
- T’es qu’un bébé et t’auras jamais ton bac !
- Dommage. Les bébés adorent jouer avec des bacs.
- T’es nul et ta mère, c’est une s… !
- Quand j’entends ça, je regrette que les oreilles n’ont pas de paupières !
Autant que possible, quand vous répondez, évitez d’avoir l’air apeuré ou même de sourire. Dans l’esprit des petites brutes, une personne qui sourit est une personne gentille et la gentillesse est signe de faiblesse.
Avertissement : il y a peu de chances pour que ces techniques marchent du premier coup. Ce n’est pas de votre faute : la personne qui vous harcèle a juste un problème. Persévérez. Entraînez-vous à parler fort, à prendre un ton calme, tenez-vous droit et regardez le bully dans les yeux. Réservez-vous un bon moment de détente pour décompresser tous les jours, après l’école. Ensuite, entraînez-vous, même cinq minutes, à parler calmement et avec assurance.
Eventuellement, enregistrez les insultes et les propos désobligeants avec votre téléphone portable. Ça vous fera une preuve si vous voulez porter plainte.
L’auto-défense physique
Il y a une histoire qui me hante, celle de la petite Noélanie. Harcelée à huit ans, elle devait subir des actes de harcèlement de la part d’enfants de son âge, dont des strangulations. Prévenue, les membres du corps enseignant l’ont punie pour avoir rendu les coups. La petite fille est morte peu après d’un œdème cérébral.
Or, de l’avis général, Noélanie n’était pas du tout une enfant violente. Au contraire, c’était une pacifiste au cœur tendre qui rêvait de changer le monde. On lui reprochait de pratiquer la légitime défense, ce qui était franchement stupide. Je le répète, je suis contre la violence gratuite. Seulement, essayer de sauver sa peau, ce n’est pas de la violence gratuite.
Ce que je vais écrire va sûrement être contesté et critiqué mais tant pis : si on vous frappe et si vous avez envie que ça s’arrête, vous pouvez rendre les coups. Faites-le de façon proportionnée et n’attaquez pas le/la premièr(e). Vous avez le droit de vous défendre : inutile de vous retrouver avec dix bleus quand vous en avez déjà deux. Eventuellement et si vous aimez le sport, apprenez un sport de combat ou un art martial : cela vous aidera à mieux contrôler votre stress et votre respiration.
Je ne vais pas vous mentir : après avoir rendu les coups, il est possible et même probable que vous allez vous retrouver dans le bureau du principal, avec le bully qui pleurniche en disant que vous l’avez attaqué sans raison. Accrochez-vous. Expliquez bien que c’est lui/elle qui vous a agressé(e) et que ce que vous avez fait s’appelle de la légitime défense. Dites-lui que vous avez gardé des preuves du harcèlement et que vous pouvez les lui montrer. Encore une fois, entraînez-vous à parler calmement et/ou préparez un petit discours (Monsieur, X. m’a poussée à bout. Cela fait une semaine qu’il essaie de me tripoter à chaque fois qu’il me croise dans les couloirs. Je me suis défendue, c’est tout).
Evidemment, on va vous reprocher d’avoir utilisé la violence au lieu de dénoncer votre agresseur. Répondez franchement, par exemple en disant :
- Evidemment, je n’ai pas eu le temps de le dénoncer. Il m’a agressé il y a cinq minutes.
- X. a menacé d’aller faire ceci ou cela si je le dénonçais. J’ai essayé de régler ça tout seul.
- Au début, elle m’a seulement insultée. Je ne pensais pas qu’elle irait jusqu’à me frapper.
Vous risquez de vous prendre une heure de colle, d’accord. Et alors ? Cela vaut mieux que de se laisser agresser. Affirmez-vous. Si une autre personne est harcelée en même temps que vous, faites équipe avec lui/elle. Vous avez le droit d’exister autant que n’importe qui.
Au passage, les filles seront peut-être davantage blâmées de s’être défendues. De nos jours, un garçon qui se sert de ses poings passe pour un « vrai mec » (j’aime pas cette expression, insultante pour tous les garçons qui n’aiment pas la violence) tandis qu’une fille qui répond à un attouchement par un coup de poing est vite traitée de « furie » ou « d’hystérique ». On va peut-être vous reprocher de vous être défendues. Seulement, ça n’a aucun sens : on est au 21ème siècle, après tout. Toutes les filles/femmes ne peuvent pas se permettre de prendre l’air fragile et d’appeler le prince charmant au secours dès qu’il y a un problème. Essayez un peu de penser à ces héroïnes fortes et indépendantes qu’on voit à la télé ou dans les livres, comme Buffy Sommers, Katniss Everdeen ou Ellen Ripley. Si elles se défendent quand on les agresse, pourquoi pas vous ?
Enfin, et j’insiste sur ce point, n’utilisez la violence qu’en tout dernier recours et ne vous contentez pas de rendre les coups. Gardez une trace écrite de ce qui se passe, conservez toutes les preuves et demandez de l’aide à un adulte de confiance. Insistez. Se défaire d’un harceleur n’est jamais facile mais il vous faut persévérer. Eventuellement, portez plainte ou demandez à changer d’établissement. Vous avez droit à la sécurité.